Seung Joo avait rapidement terminé son repas, sans vraiment le savourer. Il avait juste faim. Plus qu'il ne l’aurait pensé, à vue du peu de temps qu'il lui avait fallu pour ingurgiter le tout. Il avait beau n'être là que depuis à peine deux semaines, la faim avait déjà eut le temps de se faire sentir, au même titre que la fatigue. Pourtant, Seung Joo ne s'en plaignait pas. Sa soif d'être pleinement immergé dans le contexte de cette île était encore palpable, même s'il en connaissait le prix à payer. Et pour l'heure, il avait du se contenter de mettre en application les premiers réflexes pour pouvoir tenir sur ses jambes : trouver de l'eau, des vivres, un endroit correct pour se reposer. Néanmoins, ces longs jours sans aucune véritable confrontation avaient de quoi le décevoir un peu. Il y avait beaucoup de rumeurs qui remontaient sur le continent au sujet de Battle Royale... Et pour ce qu'il avait vu jusqu'à là, il avait l'impression que ces racontars tenaient plus de l’exagération d'autre chose. Pas qu'il tienne particulièrement à tuer où à se retrouver avec une balle dans la jambe, hein ! Mais à son goût, les choses manquaient un peu de piment. Impression forcément exacerbée par ce cessez-le-feu, qui venait interdire toute confrontation.

Rassasié, le jeune homme s'était mis à traîner, sans trop savoir que faire. Il a un petit coup d’œil pour les gens attablés, discutant plus ou moins joyeusement, avant de lever les yeux vers les haut-parleurs. Ces derniers diffusaient un peu de musique. Les organisateurs de ce truc devaient être un peu dingues. Qui s'essayerait à danser ici, à la gloire du Nouvel Empire Coréen ? Pas lui en tout. Pas tant par avis politique ou par rébellion envers le truc, hein... Mais ça serait grave la honte quand même, non ?

Alors qu'il passe à côté d'un banc occupé, il se voit interpellé par un participant. Ce dernier avait sûrement vu qu'il zonait sans trop savoir que faire, et lui proposait une place. Seung Joo acquiesce et vient à son tour s'asseoir, le regard tourné vers l'inconnu. Le concerné se fait observateur, constatant que le lycéen devait être fraîchement arrivé, certains signes ne trompant pas. « Ouais. J'ai une moins sale gueule que les autres, c'est ça ? » répond le plus jeune, les lèvres fendues par un sourire goguenard. « J'suppose que ça fait un moment que t'es là, pour relever le truc. » poursuit-il en ayant un petit mouvement de tête, signifiant qu'il retenait le conseil prodigué. Pas sûr que la propreté de sa mise soit sa première priorité, mais c'est sûr que c'était toujours agréable d'avoir de quoi se changer sous le coude.

Son vis-à-vis ne tarde pas à se présenter. Nouvel acquiescement, avant de répondre : « Lee Seung Joo. » Le regard d'Ihn Kyang se pose alors sur quelqu'un, un peu plus loin. Le lycéen tente de deviner qui il surveillait ainsi, jetant un coup d’œil à un petit groupe à quelques mètres d'ici. « Un ami à toi ? » s'essaye t-il à demander, sans pour autant avoir réussi à déterminer quelle personne était concernée.

L'autre jeune homme reprend, engageant la conversation sur cet armistice forcé. Seung Joo hausse les épaules. « Plus ça fait longtemps qu'on est là, plus on apprécie, j'imagine. » dit-il. Ça lui semblait correct, comme affirmation. Après, Seung Joo en était pas non plus à cracher sur la soupe : en témoignaient son plateau vide et ses vêtements propres. « C'est la première grâce du genre qu'ils font, où y'en a déjà eu avant ? » interroge t-il.

Ihn Kyang a un peu rire à la répartie du plus jeune, avant de lui assurer que tôt ou tard, lui aussi aurait une mine aussi peu enviable. Ça, Seung Joo n'en doutait pas. Il n'était certes là que depuis quelques jours, mais ce peu de temps passé sur l'île avait été suffisant pour que le jeune homme réalise à quel point trouver de quoi se nourrir pouvait être difficile. Pour l'heure, ce n'était pas flagrant... Mais il savait qu'au fil des jours, sa forme physique allait se détériorer. Mais pour l'heure, il n'en était pas là : il était encore en bonne santé, frais comme un gardon et plein d'énergie. Plus que les autres participants présents ici depuis plus longtemps que lui, il en était sûr. C'était pas négligeable ça, non ? Et pour épuiser ses ressources, il en fallait. Néanmoins, il ne contredit pas, se contentant d'acquiescer en silence.

Seung Joo ne manque pas de relever que son vis-à-vis faisait partie des personnes arrivées il y a un bout de temps. Et il ne croit pas si bien dire ! Effectivement, Ihn Kyang assure qu'il était arrivé par la première vague, soit le 15 mai. Le plus jeune hausse les sourcils, tout de même impressionné par l'exploit. Cinq mois... C'était énorme quand même, il pouvait bien l'admettre. En revanche, quand on lui assure que ça passe vite, le lycéen ne peut qu'émettre une certaine réserve. « Sérieux ? Parce que je trouve que les choses manquent de piquant depuis mon arrivée. » Après bon... Une fois encore, il n'était pas là depuis longtemps. Il se doutait qu'en cinq mois, Ihn Kyang avait du en voir des vertes et des pas mûres.

A cette histoire d'être zen... Bah, Seung Joo hausse les épaules. Oui, il l'était plus tôt. Il n'avait pas été confronté à grande chose ou grand monde depuis le premier octobre, il n'avait pas le même vécu et donc pas le même recul. Ihn Kyang lui demande de parler un peu de lui, ce à quoi il répond : « J'viens de Séoul, j'étais au lycée. Le genre de gars dont les parents et les profs sont contents qu'ils ait atterri ici pour le remettre sur les rails. Tu vois le genre ? » Ça laissait deviner de quelle trempe il était... Même s'il savait que pour ses parents, ça n'était pas vraiment le cas. Sa mère avait beau lui crier et le menacer au moyen de Battle Royale s'il ne se calmait pas, il se doutait que cette dernière ne pensait pas ces mots, au fond. Et ne manquait pas d'en profiter, des fois ! « Et toi ? T'es d'où, tu faisais quoi ? » demande t-il. A l'observer, il semblait plus âgé. Peut-être était-il à la fac, ou un truc du genre.

Observant les autres personnes présentes, Seung Joo demande à son voisin s'il surveillait un ami à lui. Ce dernier désigne un jeune homme à quelques mètres de là, un type svelte et pas très grand. Le lycéen hausse un peu les sourcils au reste de l'explication, ne s'attendant pas à ça, mais n'a aucun commentaire à ce sujet. De toutes façons, son attention est bien rapidement attirée sur quelqu'un d'autre. Un autre gars court sur pattes, le visage enfantin mais pas moins sérieux. Du coup, nouvel surprise : cet individu n'était autre que le Volontaire. Ce n'était pas une rumeur, donc... Seung Joo fixe le concerné, le regard perdu entre la fascination et la curiosité. Il n'en est pas pour autant inattentif aux paroles qu'ajoute Ihn Kyang, qui ne manque pas de lui mettre la puce à l'oreille. « Ouais... » convient-il, le regard encore posé sur Jae Hwa. Il revient néanmoins à son voisin, histoire de demander : « Ça a l'air que tu joues beaucoup le jeu. T'as combien de victimes ? » Juste histoire de voir si Ihn Kyang avait de quoi se la péter pour se comparer au Volontaire, quoi !

Ihn Kyang explique ensuite qu'un problème informatique avait du résoudre l'organisation à stopper le jeu pour quelques heures. Ça étonne Seung Joo... Parce que c'était pas beaucoup, quoi, en cinq mois ! Mais en même temps, ils étaient pas là pour se tourner les pouces, aussi retient-il toute autre question qui pourrait paraître stupide. Aussi se contente t-il d'un nouveau mouvement de tête. En revanche, une autre question lui vient : « Alors, ça fait quoi d'être ici depuis cinq mois ? » Parce qu'à lui, ça lui semblait être une éternité, quoi !

Seung Joo annonce son point de vue sans le moindre cas de conscience : non, il ne trouvait pas cette île si terrible que ça. Même si bien sûr, elle venait bousculer son petit traintrain quotidien et le forçait à adopter de nouvelles habitudes de vie – ou plutôt, de survie. Mais pour l'heure, il attendait encore de faire face à un danger plus grand, qui faisait toute la renommée du lieu : le combat jusqu'à la mort avec les autres participants. Pour l'heure, il n'y avait pas encore goûté. Une chance pour certains, probablement. Une démystification à ses yeux, plus ou moins à regret. Il savait se battre, et savait qu'il saurait en faire preuve. En tout cas, la réponse qu'a Ihn Kyang suite à un court silence a de quoi le surprendre. Quelle était la probabilité pour qu'un étudiant présent ici depuis un bon bout de temps réagisse ainsi ? Il se serait attendu à ce qu'on le traite d'inconscient qui ne connaissait pas sa chance. Mais là, ce n'est pas le cas. Au contraire, cette répartie semble plaire à l'autre jeune homme. Le terme chance est même judicieusement trouvé, de leur avis commun. Ihn Kyang ajoute qu'il fallait parfois accepter de mettre la main à la pâte pour que les choses changent, ce à quoi il dévoilait un talent certain. « Des conseils à me donner, p'tét ? » demande Seung Joo, naturellement curieux, et ce même si ça pouvait paraître un peu tordu.

Pour ce qui est de la prochaine question posée, Seung Joo résume son parcours en quelques mots. Il n'en faut pas plus à son vis-à-vis pour cerner le tout. Ce dernier énonce son histoire à son tour, expliquant qu'il était du même lycée que la classe originelle. Il admet d'ailleurs que voir ses camarades de classe ici aurait put être intéressant. « Tu t'fais pas trop regarder de travers quand tu dis ça ? » interroge le lycéen, sans qu'il ne porte aucun jugement pour sa part. Ce type devait avoir ses raisons, mais il se doutait que les étudiants de la classe originelle ne partageaient pas tous ce point de vue. Pour la suite, alors que Ihn Kyang ajoute qu'il était à la tête d'un gang de rue, Seung Joo ne peut retenir un « Classe... », le regard teinté d'une admiration certaine et les lèvres fendues en un sourire. « Un peu la même trempe, quoi. » remarque t-il, même s'il savait qu'il n'avait pas les mêmes prétentions que son interlocuteur.

Sans être le plus grand des perspicaces, Seung Joo commençait à voir à quel genre de type à qui il avait affaire. Le genre qu'il aurait certainement suivi aveuglément sans trop se poser de questions. Et qui n'était probablement pas des plus tendres ici, de fait. C'est même peu dire quand Ihn Kyang répond qu'il jouait selon ses règles à lui, vantant un palmarès d'une trentaine de victime. A ces paroles, l'attention du jeune homme en revient à son vis-à-vis. Forcément, ça fait hausser les sourcils à Seung Joo, impressionné... Mais pas nécessairement envieux. Le genre de curiosité et de fascination accordée aux grands criminels, quelque chose comme ça. « J'suppose que c'est une chance de te rencontrer en temps de cessez-le-feu. » juge t-il, se doutant que la rencontre aurait put être toute différente un autre jour. Pour ce qui est de ses convictions, le jeune homme a une nouvelle question : « Ton but ? C'est pas comme la plupart des gens ici, de rentrez chez toi ? »Ça tombait sous le sens, Ihn Kyang ayant déclaré qu'il n'avait pas l'intention d'être l'ultime survivant ici. Mais il n'empêchait que ce genre de parole pouvait avoir quelque chose inattendu.

Une tape amicale est posée sur l'épaule du lycéen, qui répond à la question, toute rhétorique soit-elle : « J'y compte bien. » Il reste néanmoins curieux d'entendre la réponse d'Ihn Kyang, qui ne tarde pas à tomber. L'auto-accomplissement, la puissance : des inspirations masculines en somme, sur lesquelles Seung Joo ne cracherait pas, pour sûr. Le jeune homme a un hochement de tête à ces paroles. « Si l'intensité des sensations fortes suit, je devrais pouvoir suivre. » commente t-il, avant d'écouter la suite, au sujet des résultats d'une telle expérience de vie. Pour sûr que ça allait les changer des petits lycéens tranquilles et candides qu'ils étaient en arrivant ici. « Tu crois à une théorie du complot dans le genre ? » interroge une nouvelle fois Seung Joo.

Perplexe. Suite au conseil prodigué, Seung Joo reste effectivement un instant à contempler Ihn Kyang, lèvres scellées. C'était assez inattendu, à dire vrai. Il n'aurait pas imaginé qu'une telle recommandation lui soit donnée maintenant. Pourtant, se méfier des autres était ici un véritable leitmotiv. Il le savait et mettait ces bons mots en application. Il reste néanmoins attentifs aux mots qu'a son interlocuteur, le regard rivé vers lui. Silencieux quelques instants, il laisse son cerveau absorber ce discours, avant de convenir : « Ne jamais rien prendre pour acquis, quoi. Je vois. » conclue t-il. Ça semblait véridique, en tout cas. Mais à force de papoter avec l'autre participant, le lycéen avait bien compris que ce dernier n'était pas « recommandable », dans le sens commun du terme. Un joueur au sang froid, pour ainsi dire. Et s'il avait encore un peu de mal à assimiler le tout, ça n'enlevait rien à la sorte d'admiration qu'il éprouvait à l'égard son vis-à-vis. Mais au moins était-il prévenu : la donne de leur entente serait probablement différente en temps de jeu. Quelque part, il s'en doutait. Mais c'était encore mieux d'être prévenu par le concerné, pour sûr ! Une question lui vient par la suite, malgré tout : « J'imagine que tu fais route seul, du coup ? »

La réponse que lui offre ensuite Ihn Kyang le fait doucement sourire. Il n'aurait pas dit mieux, sûrement... Même s'il n'aurait probablement employé le terme « bétail » pour parler de leurs camarades de jeu. « Vu comme ça, j'avoue. » se contente t-il de souffler, avant d'écouter la suite. Et il fait bien, puisque ce sont carrément des encouragements qui lui sont adressés. Pas étonnant, vu la personne dont ça venait... Mais tout de même, ça a de quoi faire hausser les sourcils à Seung Joo. « Waoh. J'aurais pas pensé qu'on puisse me dire ça un jour. » assure t-il. Pour sûr qu'en dehors de l'île, ça n'aurait jamais été le cas.

Le lycéen ne dissimule plus une once d'admiration. Une bonne occasion pour Ihn Kyang de se sentir fier. Ce dernier assure même que cette époque lui manquait pas mal, juste avant d'adresser un compliment certain : son vis-à-vis lui faisait drôlement penser à son bras droit. Et sans même connaître le gugusse, Seung Joo le prenait sincèrement bien : le meilleur ami d'Ihn Kyang ne pouvait qu'être un mec cool, non ? Un sourire franc étire ses lèvres, avant qu'il ne se fasse curieux : « L'avait un nom, votre gang ? P'tét que ça me dira quelque chose. » Même s'il fourrait pas trop son nez dans ces affaires – faute de connaissances, pour sûr, il avait eut quelques échos de regroupement du genre.

Pour ce qui est d'être une chance qu'ils se rencontrent ici, Ihn Kyang confirme... Mais ne tarde pas assurer que généralement il ne s'en prenait pas à ceux qu'il considérait comme dignes d'intérêt : et pour l'heure, Seung Joo en faisait partie. Le concerné opine, voyant son ego se gonfler à nouveau. Il a pour seule réponse un mouvement de tête vers le Volontaire en ajoutant : « La preuve. » Par la suite, son vis-à-vis ajoute que rentrer chez lui était envisageable... Mais que pour l'heure, ça n'était pas sa priorité, souhaitant profiter encore des opportunités offertes par l'île. Nouvel hôchement de tête de la part du lycéen, qui n'ajoute rien à ce propos.

Une question lui est bientôt posée, à propos des sensations fortes. En premier lieu, le jeune homme acquiesce, avant de poser son regard sur l'assemblée. « Des sports extrêmes, dès que l'occasion se présentait. L'impression d'être vulnérable rien que quelques secondes, se dire qu'une seule connerie suffit pour qu'on crève... Y'a rien de plus grisant. » explique t-il, les yeux un peu brillants à tous ces bons souvenirs. « Mais bon, pas facile de se jeter dans le vide tous les jours. Donc j'compensais tous les jours par la castagne, les « mauvaises » fréquentations, des trucs comme ça. Ça a quelque chose de sympa de franchir les limites. Plus que de s'contenter d'une routine. » ajoute t-il, un sourire doucement amusé pendu aux lèvres.

Ihn Kyang assure ensuite qu'il n'avait que faire des magouilles du gouvernement... Et là, Seung Joo se sent salement soulagé. Pas qu'il soit incapable de faire preuve d'esprit critique, mais disons que causer politique et éthique, c'était pas vraiment son truc ! Du coup, c'était pas plus mal que la conversation soit avortée de la sorte.