Je n'ai pas su rester à ses côtés. J'ai raté tellement de choses, cela me rend triste. Un peu. Même si aujourd'hui je suis en paix, je ne peux m'empêcher de penser que j'aurais pu lui rendre la tâche plus facile.

Se Jin est née à Gusan. Ses deux parents étaient très fier d'elle. Mais ils ont eu la surprise de voir un second bébé arriver. Moi, le jumeau, développé dans l'ombre de Se Jin. Protégé et un peu spoilé à la fois. Ma sœur avait dès le début de nos vies pris le dessus avec sa force et son opiniâtreté.

En fait, nos parents n'avaient pas réellement fait de suivi échographique : ils voulaient avoir la surprise. Et bien c'était chose réussie. Au moins les deux étaient satisfaits : mon père qui voulait une fille et ma mère un garçon. Nous étions donc tous deux bienvenus. Très vite, il s'est trouvé que Se Jin était plus ouverte, plus débrouillarde que moi. Plus indépendante aussi, elle se détacha très vite de la façon d'être un peu trop couveuse de ma mère pour se tourner vers nos grands-parents qui étaient très présents pour nous.

Elle fit aussi l'école buissonnière plus tôt : elle s'était fait des tas d'amis parmi les fillettes de notre âge, elle allait chez elles ou les invitait à la maison et ensemble elles passaient des heures à jouer : à la poupée, à la dînette mais aussi aux aventurières. Totalement insouciante, elle profitait de chaque minute pour s'amuser avec les autres. Bien sur le soir, elle me racontait tout pour être sur que je ne me sentait pas à l'écart. Nous étions très proches.

Dès notre entrée à l'école, les différences ont continué à se marquer. Plus chaleureuse, plus impliquée et surtout très intelligente, elle était très bien vu par les professeurs et les autres élèves. Dès nos premières années d'ailleurs. J'étais fier mais parfois un peu agacé : c'était toujours tout pour elle, toujours Se Jin par ci, Se Jin par là. Elle participait à différents clubs. Chaque année à elle s'intéressait à une nouvelle activité en délaissant celle qui l'année précédente l'avait le moins intéressée. Elle a touché à beaucoup de chose : origami, culture, littérature, échecs, calligraphie, dessin et même du sport. Bien sur, elle n'excelle pas dans tout, mais elle a pas mal de bases ici et là. Et lorsqu'elle arrêtait un club, elle en continuait certain avec nos grands-parents. L'origami par exemple ne lui a pas plu mais avec notre grand-mère cela leur permettait de rire pendant des heures toutes les deux.

Alors nos parents la laissaient faire. J'appréciais de la voir comme ça. Je m'étais fait quelques amis. J'avais tenté quelques clubs et pour me faire bien voir je continuais mais sans réelle accroche. Alors elle essaya de me faire entrer dans ses cercles, de me faire rencontrer ses amis. Ça a bien marché au début, surtout de la part des garçons qui voulaient se faire bien voir d'elle, mais lorsqu'ils se rendaient compte qu'elle ne se souciait pas guère plus d'eux, ils se détournaient de moi. Oh bien sur, je n'étais pas maltraité j'avais trop de caractère pour me laisser faire. J'étais juste taciturne, un peu en retrait comme si je n'étais pas à ma place. A mes yeux le plus important c'était elle et son sourire. Et nos longues discussions le soir avant de nous endormir.

Notre père était beaucoup absent, un peu trop pour se rendre compte de la relation fusionnelle mais non incestueuse que nous entretenions. Nous étions comme chien et chat, des faux jumeaux aux allures de vrais jumeaux tant nous étions proches. Notre mère, elle, n'y voyait pas d'inconvénient vu que chacun de nous étions irréprochable. Moi un peu moins que Se Jin mais bon. Nous avions tout ce dont nous pouvions rêver : ni trop riche ni pas assez, avec suffisamment d'affaires pour ne pas être malheureux. Nous avons évidement vécu la réunification de la Corée, sans vraiment comprendre, sans vraiment nous en soucier.

J'ai commencé à déraper peu de temps avant le début du lycée. J'avais rencontré des garçons un peu plus vieux qui n'étaient pas forcément aussi irréprochables que les gens ne le pensaient. Je me suis lié à eux, mais j'ai toujours tenu ma sœur loin d'eux. Ils savaient qu'elle existait parce qu'ils nous avaient vu plusieurs fois ensemble mais j'avais toujours réussi à la tenir à l'écart sans qu'elle ne s'en rende compte. Les changements en moi ont été insidieux. Et ils n'ont fait qu'amplifier avec la guerre. J'ai perdu petit à petit les notions que l'on m'avait enseignées. La seule chose positive qui restait dans ma vie c'était elle : Se Jin. Qui était à moi sans vraiment l'être. Jamais rien de plus que ma sœur. Et je savais pertinemment que cette période ne durerait pas. Elle devenait de plus en plus jolie, de plus en plus femme et ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'elle ne se trouve un petit ami qui nous éloignerait immanquablement.

La vie a continué. Enfermés dans une routine qui était à la fois rassurante mais très démoralisante. Et plus le temps passait plus je craignais pour mon avenir. Contrairement à ma sœur qui elle savait tout ce qu'elle voulait faire, avait les moyens de l'obtenir, j'étais un peu perdu, un peu entre deux eaux et je ne savais pas vraiment comment m'orienter. Elle m'a appris tellement de choses : elle m'aidait pour les cours et je lui en apprenais d'autres : quelques gestes de self-défense que j'avais aussi appris dans la rue et d'autres petits trucs et astuces. Cela me paraissait une bonne chose pour l'aider un peu à être plus sure d'elle, même si dans le fond elle n'en avait pas vraiment besoin.

Petit à petit j'ai arrêté de rêver. Est-ce les changements qui s'étaient opérés en moi, notre mode de vie trop intense ou la ville un peu trop urbaine à mon goût, je ne sais pas. Je pense que tout cela a contribué à l’extinction définitive de mes rêves. Se Jin elle rêvait toujours alors elle me racontait, elle partageait avec moi. C'est ainsi que les gars avec lesquels je traînais m'ont fait basculer. Ils m'ont vendu les pilules comme des alternatives aux rêves : c'était un moyen pour les gens comme moi, les gens entre deux eaux, les gens sans rêves, sans espoirs de pouvoir avoir de nouveaux des lueurs de fantaisie. Et c'est dans ce système plus libre, plus marginal que j'ai trouvé ma voie. Ma vie a véritablement commencé à ce moment là, même si personne ne le savait, pas même Se Jin. Je veillais sur elle, la tenant à l'écart de cet univers. Mais cela m'a rattrapé et l'un des gars avec qui j'avais eu un accrochage un soir a fini par me pousser à la faute et je suis mort d'un stupide accident.

C'était il y a 8 mois. Je suis mort sur le coup, sans souffrir. Et Se Jin n'a pas eu le temps de me voir dépérir à l’hôpital. Je n'ai pas pu la remercier ou lui dire à quel point je l'aimais et l'aime encore aujourd'hui mais je continue à veiller sur elle. Sauf qu'elle est tombée sur ma boite. La boite dans laquelle je gardais mon carnet de compte qui l'a mené à la boite dans laquelle je gardais mes pilules. Dans un sens ce n'est pas plus mal parce qu'il m'en restait pas mal et qu'elle aurait fini par avoir des ennuis. Elle a vite compris le pourquoi du comment et même si elle ne comprend pas vraiment ce qui m'a poussé dans cette voie, elle s'est vite rendue compte de ce qui m'avait plus en découvrant cet univers. Elle a vendu les pilules plus vite qu'on aurait pu le penser réussissant à séduire les gens comme personne avec sa bouille de gamine trop mignonne. Elle avait toujours su comment mettre les gens en confiance : très populaire, très douce le contact humain était quelque chose qui n'ayant aucun secret pour elle.

En ramenant l'argent à la personne à laquelle elle devait le remettre, elle a accepté l'autre paquet. Puis un autre et encore un autre. Et encore... Et même si elle continuait à aller au lycée et à avoir les meilleures notes de sa classe, la pente sur laquelle elle s'était engagée semblait doucement l'amener dans ce monde nocturne qui avait fini par me coûter la vie... Il lui était arrivé plusieurs fois de découcher, réussissant toujours à couvrir ça aux yeux de nos parents. Elle avait donc un sac à dos prêt à portée de main au cas où elle devrait sortir à la dernière minute et ne pas rentrer. C'est ainsi que lorsque les hommes sont entrés dans sa chambre, elle a suivi leurs ordres un peu paniquée et effrayée, puis elle n'a qu’eus le temps d'attraper son sac avant d'être enfournée dans un fourgon. Le hasard, le destin ou la fatalité, appelez ça comme vous le voudrez mais moi je pleure de la haut de voir que ma sœur qui ne se remet toujours pas de mon décès a été projeté dans un univers tellement barbare qu'elle n'en sortira pas indemne si elle s'en sort vivante...

Son arrivée sur l'île a été mouvementée. Jetée comme les autres dans l'eau, elle a gagné le rivage et elle a couru jusqu'à trouver un endroit où se cacher le temps de se remettre. Bien sur elle a pleuré. Bien sur elle a paniqué. Mais une chose était certaine : elle savait où elle était et l'enjeu qui venait de se matérialiser devant elle : la course pour la vie. Nous avions déjà plaisanté ensemble sur la loi BR, ce mythe qui faisait trembler les gens. Elle me disait parfois : fais attention ou tu finiras sur l'île BR. Mais ça n'est jamais arrivé. Honnêtement si l'un de nous deux méritait d'y aller, cela aurait été moi, vu l'attitude irréprochable de ma sœur au lycée. Heureusement pour elle, les nuits passées dans la rue à dealer l'ont aidée à s'endurcir.