On pense toujours que c’est bon uniquement pour les autres. Jusqu’à ce que ça nous tombe sur le coin de la gueule… Elle avait tout pour réussir dans la vie. Elle avait tout pour être heureuse. Mais rien de ce qu’elle avait prévu ne fonctionna. Et pourtant elle était partie sur de bonnes bases : la mère de Se Hee est une dentiste qui tient son propre cabinet, la famille n’avait donc pas à se plaindre des revenus mensuels voir même annuels de ce côté-là. Le père de Se Hee ne travaillait plus depuis un petit moment à cause d’une blessure faite justement sur son lieu de travail, puisqu’il était un ancien militaire. Oh, rien de grave, mais il s’était gravement blessé pendant qu’il entrainait des bleus. Il avait donc pris sa retraite prématurément. Les deux parents s’étaient rencontrés lors d’un simple rendez-vous dentaire du papa et un an plus tard la confection de Se Hee était en marche.

L’enfance de la petite fille fut des plus heureuses. Curieuse, éveillée, souriante, elle faisait le bonheur de ses parents et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. L’école était assez facile pour elle et bientôt elle se découvrit une passion : la gymnastique. Dès lors, elle fut inscrite dans un club et ne le quitta plus. Bien qu’en grandissant elle se montre plus timide et plus solitaire qu’avant, elle restait une camarade agréable bien que la crise d’adolescence fit passer quelques moments difficiles à ses parents. Enfin… Difficile est un bien grand mot. Alors que certains vont l’exprimer en passant par une phase gothique ou en allant voler dans des magasins, Se Hee se contentait de crier pour rien et de s’enfermer dans sa chambre à longueur de journée, n’en sortant que pour aller se défouler dans son uniforme de gymnaste.

Elle connut quelques amours lors de ses années de collège et de lycée, ce qui ne fut pas étonnant étant donné la bouille adorable de la jeune fille, mais rien de bien sérieux. Au final… Se Hee ne s’était jamais vraiment sentie amoureuse. Et la seule chose qu’elle répondait à sa mère lorsque celle-ci s’inquiétait de la future vie matrimoniale de sa fille c’était qu’elle avait le temps. Mais sa mère ne le voyait pas de cet œil-là. La réunification lui faisait peur et elle sentait mal la soudaine paix qu’il y avait entre la Corée du nord et la Corée du sud. Pour elle, c’était comme réunir les anges et les démons… Comment pouvait-il y avoir une bonne entente entre ces deux patries qui avait des années entières de décalage et de culture ? Mais bon, après tout… Si ça avait marché pour l’Allemagne, pourquoi pas pour la Corée hein ? Mais ça ne l’empêchait pas d’avoir des craintes, et la seule façon de voir sa fille à l’abri pour elle c’était que cette dernière termine rapidement ses études et se marie avec un homme qui saurait la protéger. Mais Se Hee ne l’entendait pas de cette oreille et continuait à vivre sa petite vie de rêveuse, donnant tout ce qu’elle pouvait pour entrer dans le monde professionnel de la gymnastique, en poursuivant bien sur ses études à côté. Des études de lettres, simples pour elle, qui lui permettrait de rentrer dans le corps enseignant du Nouvel Empire de Corée si jamais elle n’arrivait pas à percer dans le sport.

Tout était planifié… Tout était programmé pour qu’elle réussisse, pour que sa vie soit un long fleuve tranquille, sans trop d’embûches si ce n’est celles de toutes les vies autour d’elle. Et puis un jour… Des hommes débarquèrent chez elle alors qu’elle était sur son lit, en train d’étudier ces leçons ennuyeuses et rébarbatives que donnaient des professeurs passionnés, voir fanatiques, à recracher lors de partiels longs et fatigants. Le temps qu’elle relève la tête, un militaire se tenait dans sa chambre et lui ordonnait de préparer un sac à dos sur le champ. Elle pouvait entendre d’ici les hurlements de sa mère derrière la porte, ainsi que son père qui tentait de passer par la force mais qui n’arrivait pas à grand-chose avec sa jambe estropiée. Se Hee resta un long moment hagarde, s’étant redressée sur son lit elle ne fit aucun lien avec ce qui se passait au Japon, pour elle tout ça était tout simplement impossible. Mais lorsque le type l’attrapa par le bras pour la lever sans douceur, elle se réveilla alors rapidement et obtempéra, fourrant plusieurs choses dans un sac à dos et enfilant un uniforme qu’elle trouva affreux. Elle ne savait strictement rien de ce qui se passait et elle ne comprenait absolument pas ce qu’elle avait fait pour qu’on vienne la tirer de ses révisions au beau milieu de la nuit, alors que sa mère pleurait toutes les larmes de son corps de l’autre côté de la porte. Mais que pouvait-elle faire ? Sans qu’elle ne puisse embrasser ses parents, elle se retrouva un sac sur la tête et on la tira rapidement dehors. Elle eut juste le temps de répondre un fort « moi aussi ! » lorsqu’elle entendit sa mère hurler qu’ils l’aimaient. Le voyage fut alors long, éreintant. Mais une fois de plus, que pouvait-elle faire ? Elle sentit, une fois arrivée à la première escale, une aiguille se planter alors dans son bras, et bientôt plus rien. Elle était complètement arrachée et son corps fut balloté maladroitement jusqu’à un bateau où on la lâcha lourdement. Elle ne reprit ses esprits qu’un long moment après mais heureusement avant d’être arrivée sur l’île. De nombreuses personnes l’entouraient, beaucoup pleuraient, d’autres avait déjà totalement perdu les pédales, et le reste se contentait de regarder les autres, tout comme elle, sans rien dire, déjà dans l’esprit de compétition et de survie ou simplement résignés. Mais que pouvait-elle faire, après tout… ? Le tout était maintenant de tout faire pour rester en vie et retourner voir sa mère et son père afin de les rassurer. Tout allait bien se passer… Tout allait bien se passer… Tout allait bien se passer… Ou pas.