Une fois de plus, je rentre dans un sale état. Tout simplement parce que j’ai toujours assumé être un lâche, je ne me bats pas, je ne me défends pas. Je me contente simplement d’éviter de me prendre de trop violents coups. J’ai toujours été le souffre-douleur de ma classe, je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd’hui. Mes jours se ressemblent tous. Aujourd’hui, on s’en est pris à moi tout simplement parce que les, ô combien respectés, badboys de ma classe s’ennuyaient. La seule chose, un minimum, intéressante qu’ils aient trouvé à faire, a été de tabasser le petit coincé de la classe, comme ils aiment me surnommer. J’étudie en cours, j’ai de bonnes notes, je me fais discret, je ne cherche jamais d’ennuis et je ne suis même pas capable de répondre lorsqu’on me cherche. Pas étonnant que je passe pour la petite victime. Même les filles s’amusent à me trouve des surnoms débiles et cons. J’ai fini par m’y faire, à quoi bon se rebeller ? Tout ce que je veux c’est finir mes études et me barrer d’ici, laissant ses abrutis s’amuser et m’oublier au moment même où je quitterai cet endroit. Je n’ai pas vraiment d’ambition ou rêve.

Je m’assure de ne pas rentrer trop tard, ne voulant pas que ma mère s’inquiète pour un rien. Elle qui est du genre à stresser lorsque je rentre à la maison avec deux minutes de retard… Ma vie est horriblement banale et ennuyeuse je vous dis. Sur le chemin, j’essuie les quelques gouttes de sang qui coulent au coin de mes lèvres, et j’affiche un faux sourire avant d’entrer chez moi. Comme d’habitude, je fais comme si tout va bien, elle ne se doutera de rien. Si elle me demande pourquoi je ne suis pas capable de marcher droit ou si je me suis encore blessé, j’ai juste à lui dire que je suis tombé, encore une fois. Elle sait très bien que je suis maladroit de toute manière. Elle me demande comment s’est passé ma journée, je lui réponds vaguement. Elle me demande si je pense avoir réussi mon contrôle d’histoire, je lui rassure que j’ai bien révisé alors il ne devrait pas y avoir de raison de s’inquiéter.

Ma vie est ennuyeuse à mourir.


Quelques jours plus tard, le professeur nous rendit nos contrôles et effectivement, j’ai assuré. La meilleure note de la classe qu’il dit. Heureusement que je suis là pour augmenter la moyenne de la classe, pas comme les trois idiots -tant redoutés par tous-, qu’il rajoute. Ces derniers me jettent un regard mauvais. Je sens que je vais encore passer un mauvais quart d’heure alors que je n’ai rien demandé, je n’ai même pas ouvert la bouche. On peut dire que je suis au plus bas de la chaîne alimentaire, celui qui se fait vite bouffer, celui qui ne survit jamais très longtemps. Un vrai con. Je me déteste. À la fin du cours, ils me demandent de venir les voir au même endroit que d’habitude. Bien évidemment, je ne compte pas désobéir, je suis docile même avec les idiots de leur genre, moi. Je me dirige donc vers notre "lieu de rencontre" empruntant les couloirs de l’école. En chemin, je croise mon meilleur ami. Il n’a pas besoin de me poser de questions qu’il sait déjà où je me rends. Il me fait à nouveau un discours, me disant que je n’ai pas à être aussi obéissant. Il m’incite même à me rebeller. Mais je ne l’écoute pas et avance en direction des escaliers menant au toit. Autant en finir vite, c’est ainsi que je pense.

Sur le toit, je vois qu’ils sont déjà là. Adossés contre le mur, une clope à la bouche. Ces mecs sont stupides, dis-je intérieurement. Comme à leur habitude, ils me parlent, me provoquant et me rabaissant. À force, je n’écoute même plus ce qu’ils me disent. J’ai limite envie de leur dire de me frapper plutôt que de parler inutilement. Mais non, ma bouche reste close. Seulement, un mot me vient à l’oreille, il attire mon attention. Ces mecs sont en train de me rappeler, avec une extrême gentillesse, que ma modeste situation est nettement moins avantageuse que la leurs. Ils me traitent de pauvre, je n’ai jamais considéré cela comme une insulte, jusqu’à maintenant. Des riches qui peuvent tous se permettre. Contrairement à moi, pauvre petit étudiant dont le salaire des parents suffit à peine à payer les factures. Je serre les poings, ces types me tapent sur le système. Je les entends rigoler en voyant l’air énervé que j’ai sur le visage, ça les amuse. Sous le coup d’une impulsion, je viens abattre mon poing sur l’un d’entre eux. Ils sont choqués, et pourtant, mon coup est clairement moins puissant que tout ceux qu’ils ont pu me donner. Quoique, il saigne un peu j’ai l’impression. C’est un fragile en fait, ce mec. Il y a un silence, plus personne ne bouge. Je sens que l’autre ne va pas tarder à réagir. J’hésite entre m’excuser ou essayer de me battre. Au final, aucun de ces choix ne me semblent bien et tandis qu’il crie mon prénom, de rage, je leur tourne le dos pour me mettre à courir. À toute vitesse, j’emprunte les escaliers, je continue de courir dans les couloirs en bousculant, de temps à autre, d’autres étudiants. Étrangement, je ne peux pas m’empêcher de sourire et même de rigoler, même si j’ai l’impression de fuir la mort et que je suis déjà essoufflé. C’en est même amusant. Un surveillant me crie de ne pas courir dans les couloirs, mais je ne l’écoute pas et continue ma course. Au final, j’ouvre une porte au hasard –celle d’une réserve... ou d’un placard, au choix- et la referme immédiatement. M’adossant contre cette dernière, je reprends mon souffle. Ils ne me retrouveront pas. Je les entends se faire crier dessus par le même surveillant que tout à l’heure, contrairement à moi ils n’ont pas été assez rapides. Connaissant le sale caractère de l’employé, ils seront sûrement en train de faire des tâches d’intérêt général cet après-midi. Je serais donc tranquille. Entendant la sonnerie retentir, je sors de ma cachette et me dirige vers ma salle de classe. Je ricane en voyant la tête des trois types, ils avaient l’air blasés et le surveillant ne voulait rien entendre. Je rejoins les autres élèves. Plus qu’une heure de cours.


Sur le chemin du retour, je suis en compagnie de mon meilleur ami qui ne cesse de rire. Je ne sais pas si je dois être un peu vexé ou non. Il ne peut s’empêcher de rire de plus belle après avoir essayé d’imaginer la tête de mes ennemis. Se faire frapper par un type comme moi, ne cesse-t-il de dire. De quoi détruire la fierté de n’importe qui, insinue-il. Néanmoins, il ne me félicite, il s’attendait à ce que je les frappe beaucoup plus tôt que ça. Mon meilleur ami sait tout de moi, il sait que je suis naturellement pas calme, bien au contraire je suis bien trop impulsif et même agressif. J’ai toujours fini par être viré des clubs de sport auquel je participais. J’ai foncé tellement violemment sur un adversaire, au football américain, que je lui ai déboité l’épaule. Les contacts physiques violents ne sont pas autorisés au basket. Ma crosse ne doit pas me servir d’arme contre mes adversaires, et je n’ai pas non plus le droit de me battre en plein match de lacrosse. Bref, contrairement à ce que je peux laisser paraître, je ne suis pas quelqu’un de très sage et inoffensif. J’essaie de l’être, mais faut croire que mon vrai moi finit toujours par réapparaître.

On rigole et discute ensuite de tout et de rien. On se dit à demain... C’est la dernière que je vis mon meilleur ami, il a depuis coupé les ponts et j’ignore complètement pourquoi.


Cependant, depuis cet évènement de rébellion, j’ai l’impression que tout va mieux. J’ai beaucoup plus confiance en moi, je réponds même à ceux qui me cherchent et si besoin, j’utilise les poings – mais rien de trop méchant. Je trouve ma vie moins ennuyeuse, je me suis fait de nouveaux amis et je m’amuse même en cours. Mon père a eu une augmentation et ma mère stresse moins pour nos problèmes financiers. Maintenant, tout va bien autour de moi. Je pourrais même dire que j’aime ma vie.

Mais tout est éphémère, le bonheur l’est aussi.


Je dors paisiblement, fatigué ou non, je m’endors toujours facilement. Il fait nuit, tout est silencieux. Jusqu’à ce qu’on me réveille en sursaut, on me tire pour m’obliger à me tenir sur mes pieds. Ils sont nombreux, il fait trop sombre, je comprends rien à ce qu’il se passe. Je ne panique pas, je suis choqué, déconnecté, qu’est-ce qu’il se passe ? Ils me font mettre mon uniforme puis je ne vois plus rien, ils m’ont foutu quelque chose sur la tête. Un sac. Je crois que je suis en train de me faire kidnapper, j’essaie de me débattre mais c’est peine perdue. Ils sont plus nombreux, plus forts, ils me tiennent bien. Je ne sais pas où sont mes parents, je ne sais même pas s’ils ont entendu ces gars entrer, ou s’il leur est arrivé quelque chose. Cette pensée me fait mal, j’ai les yeux qui commencent à s’humidifier. Sans me laisser le choix, on me traîne en dehors de ma chambre, ils me font descendre les escaliers et lorsqu’on arrive dehors, me poussent dans une voiture. Je suppose que je suis seul, seuls mes ravisseurs sont là. Le véhicule démarre et roule je ne sais où, il roule pendant des heures, ne s’arrêtant que très peu. Je commence doucement à paniquer. Merde, que m’arrive-t-il ? J’essaie de crier, mais on ne peut pas m’entendre. Je me sens si faible.

Le véhicule s’arrête, lorsque je peux enfin voir, je suis sur une sorte bateau. Ma vue est légèrement troublée, ils m’ont drogué ces enfoirés. Je me rends compte que je ne suis pas seul, d’autres étudiants sont sur ce bateau. Je ne sais pas si certains me connaissent et je m’en fous, je veux simplement partir d’ici. Je ne veux pas d’un voyage scolaire surprise et non désiré. Je veux rentrer chez moi et retrouver mes parents. J’entends des hommes parler mais je ne parviens pas à comprendre. Est-ce dû à ce qu’ils m’ont donné ou au fait que je suis bien trop déboussolé pour essayer de comprendre ? Je ne sais pas, je ne sais rien. Un sac nous est donné, je le prends sans poser de question. Mon regard se balade sur les étudiants présents ici, j’essaie de décrypter leurs pensées en regardant leurs visages. Puis je vois le paysage, on s’approche d’une petite île, on a l’air de se diriger vers elle. Et pourtant, non, on nous lâche en pleine mer. J’entends certains crier, sûrement ne savent-ils pas nager ou alors sont-ils surpris. Je vois certains aider d’autres, tandis qu’on se précipite tous vers cette île. Je vois bien que je ne suis pas le seul à paniquer. Arrivé sur le rivage, je ne sais pas ce qu’il nous arrive, on nous fait savoir que si nous ne quittons pas cette zone où nous nous trouvons, nous mourrons. Je me demande si c’est une blague, et je ne suis visiblement pas le seul à penser cela. Je me rends compte que nous portons tous un collier autour du cou, c’est ce dont nous parlait un homme sur le bateau. C’est un collier qui pourrait exploser apparemment. Un garçon, semble perdre patience et ne trouve vraiment pas ça drôle, il essaie de retirer son collier. Il s’acharne dessus et je n’ai même pas le temps de fermer les yeux que je le vois exploser. Non, ce n’est pas une blague. Une fille crie, un autre garçon se répète que ce n’est pas possible et tous se mettent à courir.

Je suis tétanisé, je prends alors conscience que tout ceci est vrai. Cette histoire que l’on raconte aux mauvais étudiants, ces rumeurs que l’on fait circuler sur les étudiants qui disparaissent. On s’est toujours dit que ce n’était que des blagues que l’on raconte sur les étudiants qui se font transférer. On a toujours pensé que tout était faux. Je réalise enfin que ces personnes, présentes avec nous sur le bateau, n’étaient pas des professeurs. Et ce qu’ils nous ont raconté, ne sont que des explications de ce qu’il nous arrivera à partir de maintenant. Je me fais bousculer, tout le monde court sauf moi. Je me réveille alors, il ne vaut mieux pas que je reste là. Je prends le sac de survie, que j’ai laissé tomber au sol en arrivant, et cours aussi vite que je peux pour quitter cette zone. Certains réalisent que s’il faut survivre, il faut bien faire quelques victimes. Ils s’en prennent donc à d’autres. Je ne comprends pas pourquoi alors je me contente de courir. Je cesse de courir lorsque je me retrouve en dehors de la zone, tout comme d’autres étudiants. On entend le bruit des explosions, certains de nos camarades sont sûrement morts. Je ne sais même pas si mes amis ont aussi été emmenés ici. On s’est cru en sécurité ici, mais ce n’est pas le cas. Des étudiants ont commencé à se battre. Je reste à l’écart. Certains ont même des armes, ils doivent être sur l’île depuis un moment, je ne me rappelle pas les avoir vu tout à l’heure. Je vois un de mes camarades tombé à terre, il est mort, mes yeux s’écarquillent. Je suis choqué. Le couteau retiré de sa poitrine, je lève les yeux vers son assassin, mon regard s’accroche au sien. Je reconnais mon meilleur ami. Pas possible, me dis-je. Je n’ai pas le temps de l’interpeller qu’il n’est déjà plus là. Je suis tétanisé, j’ai peur.


Je comprends bien vite que personne ne viendra me sortir d’ici. Les jours s’écroulent et personne ne vient nous sauver. Je vais rester bloqué ici. J’apprends vite à me débrouiller, je fais toujours dans la discrétion pour ne pas que l’on m’attaque. Je comprends que si je veux rester en vie il va bien falloir que je tue moi aussi, à un moment ou un autre. Mais pour le moment je ne me contente que de me défendre et d’assommer ou de blesser grièvement mes ennemis. Amis ou non, n’importe qui peut s’en prendre à moi. Je ne fais confiance à personne. Chaque minute de plus passée sur cette île me rend parano. Je veux vivre, alors j’essaie de me faire des alliés. Un nombre très restreint de personnes, dont je fais un minimum "confiance", si on peut dire ça ainsi. Car j’ai beau les considérer comme des alliés, je reste très méfiant. Je suis sûrement en train de devenir fou.